Ami, entends-tu le bruit sourd de l’architecte qu’on enchaîne…


Ayant un long passé de militant politique, je compte parmi les élus et responsables politiques beaucoup de proches et d’amis. Sur les réseaux sociaux (Facebook ou Twitter), je les vois se féliciter à longueur de temps de constructions dont ils sont les instigateurs, les maîtres d’ouvrage, les partenaires ou un peu moins de tout ça. A chaque fois ou presque, je me sens obligé de leur rappeler de citer l’équipe de maîtrise d’oeuvre et plus précisément le nom de l’architecte de l’opération. Peu d’entre eux me répondent car peu d’entre eux connaissent le nom du ou des concepteurs. Cette situation peu flatteuse ne fait que souligner un manque d’amour et de reconnaissance que la France a pour ses architectes.

Malgré de petits efforts faits par les institutions (Ordre des architectes, Cité de l’ Architecture, MIQCP…), le manque de culture architecturale des élus et des Français est criant. Le travail de l’architecte est critiqué voire dénigré. Pourtant tous les jours, ce sont des milliers d’architectes qui œuvrent à la qualité architecturale de la France sans que ceux-ci ne soient reconnus à leur juste valeur. Comment remédier à cela tant d’un point de vue concret que prospectif ?

Faire respecter le droit d’auteur.

Dans un très bon texte, la directrice et juriste du CROA Aquitaine, Laurence Servat nous rappelle à nous architectes de faire respecter nos droits d’auteur. Tout d’abord, elle nous rappelle que : « les œuvres architecturales sont protégées, dès lors qu’elles sont originales, par le code de la propriété intellectuelle (loi du 1er juillet 1992) » et que « parmi les droits accordés à l’auteur, figure le droit au respect de son œuvre, ce droit étant inaliénable et imprescriptible (article L 121-1 du code précité). Comme une œuvre littéraire, une sculpture ou encore un film cinématographique, l’œuvre architecturale ne peut être dénaturée. »

D’autre part, comme nous le remarquons souvent, lorsqu’une réalisation ou un projet fait l’objet d’un article dans la presse nationale et régionale (mais aussi dans les bulletins municipaux) le nom des architectes est non seulement oublié dans le texte mais aussi dans la reproduction des plans, des perspectives ou des photographies. Ces « oublis » sont inacceptables et participent grandement à la non-reconnaissance du travail de l’architecte. Il va de soi que l’Ordre des Architectes devrait systématiquement intervenir auprès de ces rédactions pour que ce droit soit respecté et ester en justice en cas de récidive caractérisée.

Former et informer les élus.

Beaucoup d’élus, sous prétexte qu’ils financent un bâtiment public, se croient autorisés décider de tout : du choix des matériaux de façade à l’emplacement du local poubelle en passant par la couleur des clôtures. En effet, ils pensent qu’ils peuvent être à la fois le baron Haussmann et Valérie Damidot sans savoir que leurs demandes et ordres sont le plus souvent juridiquement condamnables comme un « excès de pouvoir ». Dans la majorité des cas, c’est le manque de connaissance du droit alliée à une inculture architecturale qui explique ce comportement. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » disait Benjamin Parker dans la première bande-dessinée de Superman et les élus (notamment les maires) ont de grands pouvoirs. Il est nécessaire que les élus de tous bords prennent pleinement conscience de leurs actes et one voit pourquoi les élus ne se formeraient comme d’autres se forment. De nombreux organismes peuvent se charger de ces formations notamment la Cité de l’Architecture.

Par ailleurs, dans chaque département, existe un Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE) dont le rôle est fondamental. Ce sont des personnalités compétentes et sachantes dont on ne saurait taxer leurs conseils de défense corporatiste des architectes mais bel et bien de la défense de la qualité architecturale. Je recommande aussi à mes amis élus de prendre contact avec la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) plutôt qu’avec les syndicats corporatistes qui n’ont la fâcheuse tendance qu’à défendre que les leurs.

Etre respectable pour être respecté. 

Nous le savons, nous les architectes, ne décidons ni du terrain, ni du programme, ni des réglementations (urbaines, réglementaires, handicapés…), ni du voisinage, ni du budget et du coût. Notre travail consiste à prendre en compte ces données pour en faire ressortir le meilleur et pour la plupart d’entre nous, architectes, nous tentons de le faire avec modestie et sans gesticulations. Néanmoins, certains architectes gérardisés privilégient (leur) l’image à la réalité construite (voir image ci-dessous supprimée à la demande des architectes)  et font au mieux du mal aux architectes au pire à l’architecture. Les images perspectives de plus en plus réalistes sont désormais « la corde qui soutient le pendu ». Nous devons savoir raison garder et ne pas mentir par l’imagerie numérique. D’ores et déjà, des maîtres d’ouvrage ont commencé à supprimer les perspectives pour les remplacer par des maquettes. N’est-ce pas une idée intéressante tout aussi vite dépassée ? La maquette numérique 3D arrivera bientôt dans les agences ne posera-t-elle pas les mêmes problèmes ?

Et enfin, un dernier point sur la lourde responsabilité que porte les confrères – généralement pas les meilleurs – qui baissent leur culotte avec des honoraires à la limite de la décence (j’ai vu certains architectes répondre à des honoraires à environ 5 % – mission de base). Ces derniers envoient comme signal aux élus et aux maîtres d’ouvrages l’idée que le coût de l’architecte peut être minime lorsque ce dernier consent à faire un effort et ainsi favorisent-ils ainsi un dumping dont ils seront les prochaines victimes collatérales.

Image supprimée.

Comme je le rappelais précédemment, les architectes sont au bord du gouffre. A défaut de nous tirer des balles dans le pied par un égotisme surjoué et une mégalomanie médiatique (vous savez de qui je parle !), nous devons, nous aussi, nous former, et particulièrement aux droits d’auteur (à lire obligatoirement) afin de ne plus être les victimes de notre propre ignorance. Un peu de modestie et beaucoup de Droit, voilà deux pistes essentielles à suivre si nous ne voulons pas devenir de simples prestataires de service sur lesquels on s’essuie les pieds. Et ce n’est pas parce que dans son discours d’inauguration du MUCEM à Marseille,  le président de la République n’a pas oublié les architectes Rudy RICCIOTTI et Roland CARTA que les choses changeront pour nous, les architectes non médiatiques, mais néanmoins efficients.

17 réflexions sur “Ami, entends-tu le bruit sourd de l’architecte qu’on enchaîne…

  1. Les choses pourraient également évoluer si on sensibilisait les plus jeunes à la culture architecturale et aux espaces de vie qualitatifs. Quelques initiatives existent ( venant pour la plupart des CAUE, d’ailleurs) mais sont loin d’être généralisées.

    • Et pourquoi pas un diplôme pour les futurs promoteurs avec des cours d’architecture? Les architectes sont sans arrêt en train de descendre leur savoir architectural au niveau de ceux qui n’en n’ont pas. Cela s’appelle « devoir de conseil » pour moi cela s’appelle utiliser 3% du savoir que l’on a acquis dans les études d’architecte et passer une énergie folle dans « le conseil ». Au moment d’une nouvelle réforme de l’enseignement des futurs architectes, la véritable question posée est : doit-on enseigner l’architecture à des architectes qui ne pourront l’utiliser qu’en combattant pied à pied au risque de baisser les bras ou doit-on former des architectes qui n’auront aucunes cultures pour pouvoir être sur le même pied que la plupart de leur commanditaire?

  2. oui, d’accord, mais il y a un fossé trop grand entre les architectes et les gens. Je parle en terme d’esthétique évidemment, mais c’est ça le cœur du sujet. Nous sommes snobs, et on considère souvent que les gens ont des goûts de chiotte, et que seul nous, sorti d’une éducation architecturale complète et exhaustive (haha), pouvons éduquer les gens qui ne savent pas ce qui est bien pour eux.

    Il ne faut pas s’en vouloir, à l’école on nous a lavé le cerveau. Rappelez vous ces cours durant lesquels on vous apprenais à fustiger le modèle pavillonnaire, ou ceux pendant lesquels on vous inculquait que les architectes sont des êtres supérieurs, à la croisée de plusieurs disciplines, manipulant et maîtrisant aussi bien la sociologie que l’urbanisme, la géométrie, la symbolique, la littérature, la photographie, la technique, etc…(cette dernière phrase est presque une citation d’un cour magistral…).
    Je me rappelle d’un prof qui déclarait comme une parole d’évangile : l’architecture est faite pour les poètes, pas pour les gens. (sa poésie consistait à barbouiller ses façades de panneaux photovoltaiques, voilà le niveau…)

    Comment voulez vous être modeste après ça.

    Le peuple dégoûte les architectes. Sinon pourquoi pensez vous qu’on soit aussi obsédés par l’abstraction en architecture ? Pourquoi pensez vous qu’on cherche en permanence à construire des choses détachées de leur contexte, détachées du sol, libre de toute empreinte humaine ou de signe culturel ?

    Dès lors, comment voulez vous que les gens nous plébiscitent, nous aiment et nous respectent ?

    • Très bonne analyse, je retrouve exactement les propos de certains de mes profs d’archi ! Cette raclure de Corbusier à largement aidé à rependre cette image mégalomane de l’architecte à la croisée de tous les savoirs. Mais très honnêtement je pense que ce complexe reste réservé aux profs qui ne sortent plus de l’école que pour signer quelques permis de complaisance le week-end.

      • Penses tu que seuls les profs soient mégalos ? Prends n’importe quelle interview de starchitecte ou même de types moins connus, on suinte tous l’ego. Mais à la limite c’est pas plus mal, c’est un métier dans lequel tu en as besoin souvent (va tenir un chantier si tu doutes de toi…).

        Le vrai problème c’est que personne n’en a rien à foutre de savoir ce que pensent les gens de l’architecture. Les architectes en ont une vague idée et se posent en esthètes, alors qu’on a une formation extrêmement faible sur la question à l’école. Ca fait bien longtemps que les architectes n’étudient plus la couleur et leur histoire, le sens des formes et des lignes, la symbolique, les typologies, etc.

        Dans la pratique regardes le fonctionnement d’un concours publique. Tu as un jury de 5 à 15 personnes, et au final une seule personne décide du projet. Aucun n’est légitime pour représenter le goût des gens (un maire n’est jamais élu sur sa culture esthétique et architecturale) et pire, à aucun moment les gens ne sont consultés.

        On leur impose nos merdes et on voudrait du respect ?

    • Excellemment dit
      Bonne remarque
      Et l humilité dans tout cela à commencer peut être par les enseignants de savoir ajuster leurs propos.
      Manoeuvrer entre élégance d esprit et humilité et grandeur d âme.

  3. On peut dire ce qu’on veut de la mégalomanie médiatique de Ricciotti, ce type-là est bien le seul à parler de la profession au grand public et à la défendre autrement que dans un article de blog.
    Pour le reste je suis entièrement d’accord, il n’appartient qu’à nous de faire notre travail de communication et de reprendre ces maitres d’ouvrages qui s’approprient entièrement l’œuvre le jour de l’inauguration. Vous noterez toutefois que le nom de l’architecte apparait systématiquement lorsqu’il s’agit de mettre le doigt sur des points négatifs ! Bref, c’est pas gagné.

    • Je suis absolument d’accord avec Frelon, quant au fait qu’à l’école notre formation théorique est proche du néant.

      Et pour répondre à yaaap: certes Rudy Riciotti parle fort (et, pour dire explicitement ce que vous suggérez, il montre à qui veut les voir ses grosses gonades), mais il ne dit rien. Il ne fait que brasser de l’air, et se délecter de sa propre image et de ses propres vitupérations.

      Et nous nous retrouvons dans une situation où Rudy Ricciotti, qui ne nous aura rien apporté (comme, par exemple, des moyens concrets de mieux faire notre métier… ah oui, pardon: il faut se laisser pousser les cheveux, ne pas trop les laver, et parler FORT) dispose de tout un étage de la Cité de l’Architecture, alors que l’exposition sur Marcel Breuer (autrement plus intéressant, bien qu’on puisse de nos jours trouver que son écriture a vieilli, et en tout cas beaucoup moins gueulard) a été reléguée au sous-sol, juste derrière les toilettes et la machine à café.

      En somme, Ricciotti donne à voir ce que nous avons de pire. Mais il est possible qu’une société n’ait jamais que les architectes qu’elle mérite.

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