PPP : tous coupables ?


La semaine dernière, j’évoquais sur ces colonnes les dangers et les risques du Partenariat Public-Privé : le coût total de l’opération, la titrisation des créances des dettes, le surdimensionnent des bâtiments et la concentration des majors du BTP, la responsabilité de l’architecte et la qualité architecturale. Mais pourquoi donc, si les risques et les dangers sont si nombreux, ces contrats de PPP ont-ils été autorisés et surtout qui les a autorisés ? Qui les a théorisés ? Mais qui sont les lobbyistes derrière ces contrats néo-libéraux ? Qui a laissé faire ? Est-il trop tard ? Que peut-on encore faire ?  Retrouvez tout cela et même plus dans la seconde partie de l’enquête sur les PPP, ci-dessous. En attendant, je vous invite à regarder cette vidéo qui en dit déjà beaucoup…

Pour bien comprendre quelle idéologie se cache derrière le PPP, il convient dans un premier temps de remonter aux sources même de ce contrat. Suites aux affaires truqués des lycées d’Île-de-France, la loi dite loi Sapin relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (marchés publics, délégation de service public…) est votée. Il est donc mis fin aux Marchés d’Entreprise de Travaux Public (MEPT). Au même moment en Angleterre, les premiers PFI (Private Finance Initiative) se mettent en place. Les contrats de PFI sont souvent analysés comme le versant anglais du METP. D’ailleurs Philippe Maléa, ancien directeur juridique de Bouygues Entreprise et désormais avocat « star » du PPP, était très fier de raconter lors de son audition au rédacteur de la note de 2001 La Private Finance Initiative de l’Institut de Gestion Déléguée que : « La filiation est évidente ; il semblerait même que Margaret Thatcher ait décidé de lancer le programme PFI sur les conseils de spécialistes de grands groupes français de la gestion des services publics ». Privés des METP, les grands groupes de BTP ont vendu à la très libérale Thatcher le PFI qui, nous allons le voir, a servi de leviers aux lobbys et aux politiques pour imposer en France les contrats de PPP.

Ceux qui ont organisés et mis en place les PPP. 

Le lobby du PPP se compose de politiques, d’entreprises du BTP, de serviteur -supposé- de l’état . Nous allons prendre trois exemples de personnalités ayant usé de toutes leurs réseaux pour imposer au président de la République et au gouvernement de l’époque cette ordonnance de PPP.

  • Alain Madelin, le politique : Dans la vidéo ci-dessus, Alain Madelin explique comment il a pris son bâton de pèlerin pour convaincre aux PPP tous ceux qui y étaient réticents. Cela n’a pas été très compliqué pour le président du feu parti politique Démocratie Libérale. En effet, Alain Madelin avait, dès 2002, une oreille attentive en  la personne de Jean-Pierre Raffarin, premier ministre et ancien vice-président de Démocratie Libérale…  Alain Madelin ne cache pas non plus ses relations proches avec Xavier Bezançon (ci-dessous) que ce soit en préfaçant ses œuvres ou encore en organisant des points presse commun.
  • Xavier Bezançon, le BTP : Délégué général d’EGF-BTP (Entreprise Général de France – BTP), il milite avec ce syndicat pour la généralisation du PPP. Pour cela Xavier Bezançon n’hésite ni à faire du storytelling (les PPP existeraient depuis 2000 ans –ici-, il en a même fait une exposition à la mairie du XVIème soutenue par Claude Goasguen, autre soutient actif du PPP), ni à travestir quelque peu la réalité en vantant les mérites des PPP qui sont, pour lui, sans défaut. Je l’ai rencontré en 2003 lors d’un débat à BFM radio en compagnie de Jean-François Susini (alors président de l’Ordre des architectes) et d’Alain Madelin. Ce dernier avait pour débattre une série de fiches argumentaires rédigés par… l’EGF-BTP.
  • Jérôme Grand d’Esnon, le serviteur de l’Etat (et du RPR) : Enarque, ancien directeur des Affaires Juridiques de la Ville de Paris (1996-2001), il a exercé les fonctions de Conseiller technique auprès du Président de la République (2001-2002) et a également participé à la rédaction du Code des Marchés Publics (2004 à 2006) et de l`ordonnance sur les partenariats publics/privés. Depuis, il a quitté la haute fonction publique et a rejoint le cabinet Carbonnier Lamaze Rasle, en tant qu’avocat associé chargé des grands contrats publics, notamment des PPP. Il est l’un des principaux artisans des PPP qui a bien compris que quitter la haute fonction pour un cabinet d’avocat privé, ce n’est pas totalement inintéressant quand on sait que la rédaction d’un contrat de PPP peut atteindre plus d’un million d’euros…

Par ailleurs, depuis 2004, se développent de nombreux organismes soutenant, organisant, favorisant les contrats de PPP : la Mission d’appui aux partenariats public-privé (MAPPP), le Club des PPP, l’école des PPP… Bref, un lobbying puissant organisé par des hommes politiques (très) libéraux, le monde du BTP et des serviteurs de l’Etat partis dans le privé. Ce n’est donc pas, contrairement à ce qui est annoncé une mesure pragmatique, pleine de bon sens détaché de toute idéologie, bien au contraire. Si vous avez encore des doutes, regardez ce courrier de Nicolas Sarkozy demandant l’accélération des contrats PPP en s’appuyant sur les travaux de Claude Martinand alors président de… l’IGD, comme par hasard. 

Ceux qui ont laissé faire et s’en servent. 

  • L’Ordre et  les syndicats : Dans le livre blanc des architectes, paru en 2004, il est écrit :  » Les architectes peuvent admettre la volonté du gouvernement de donner aux services de l’Etat et des collectivités les moyens d’accroître leur efficacité pour réaliser des ouvrages d’intérêt public, par l’allègement des procédures et la réduction des délais, mais ces deux procédures bouleversent les conditions d’intervention des architectes. » L’Ordre et les syndicats ne sont jamais battus contre les PPP mais contre la place des architectes dans les PPP. A se tromper de combat, ils ont perdu. Gageons qu’aujourd’hui, ils aient compris.
  • Les architectes : Nicolas Michelin, Renzo Piano, Rudy Ricciotti, Shigeru Ban, Cardet et Huet, Herzog et De Meuron ou encore SCAU, tous les grands noms (et pleins de petits) se sont jetés la gueule ouverte sur les PPP. On ne sait pas et on ne saura pas quelles concessions, ils ont dû faire pendant le chantier mais on a vu, dans le précédent article, combien l’architecte Philippe Blandin avait souffert de ce type de contrat. Les architectes qui ont laissé faire sont, malgré tout, les complices des PPP. Le courage, et il est encore temps, c’est de refuser de participer à tous ces contrats car ne doutons pas, que l’histoire se répétera.
  • Les élus de droite et de gauche : De droite, ce n’est pas surprenant. Ces mesures viennent de leur camp mais on pouvait en lire toujours dans le livre blanc des architectes (voir plus haut), Alain Juppé déclarait en 2004 : « La procédure des PPP ne doit être utilisée que dans des cas exceptionnels. » Ce qui l’a pas empêché de lancer en PPP le contrat du grand stade de Bordeaux. Mais plus grave, alors qu’à gauche les voix s’élevaient contre les PPP (voir plus bas), de nombreux élus de gauche Michel Destot, député-maire PS, déclarait que les « PPP [seraient] des instruments pour sortir de la crise. » ou encore le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone qui a signé pour plus de 350 millions d’euros de PPP soi-disant différent comme l’affirme Mathieu Hanotin (député et vice-président du CG93). « Notre contrat n’est pas, comme d’autres, une caricature de désengagement de la puissance publique ». Trahison ou arrangement, les élus de droite comme gauche, circonspects quant à ces contrats mais qui les utilisent devront répondre leurs actes aux prochaines élections même si, nous l’avons vu précédemment, l’élection n’a plus vraiment d’intérêt quand l’endettement ou le loyer se paye sur plus de 20, 30 voire 40 ans.

Tous sans exception n’étaient pas favorables plus que cela aux contrats de PPP, mais la réalité les a rattrapés face aux arguments rabâchés par le lobbying du PPP. La conséquence de cela est double : la première est simple, elle permet de multiplier les PPP avec tous les risques et tous les dangers que cela comporte et le second est plus d’ordre idéologique : en signant ce type de contrat, les collectivités de gauche ont permis au lobby du PPP d’expliquer par les faits, que ces contrats n’étaient pas idéologiques puisque, même la gauche, s’y mettait. Une trahison que nous payons encore aujourd’hui.

Ceux qui se sont battus et se battent encore. 

Les étudiants des écoles d’architecture : En grève en 2003, nous avions très vite compris le danger du PPP et lutté contre la réforme du code des marchés (faites par… Jerome Grand d’Esnon) et par l’ordonnance du PPP. Lâchés par l’Ordre et les syndicats qui ne souhaitaient pas remettre en cause l’ordonnance même mais seulement le rôle de l’architecte, le mouvement s’est épuisé et l’ordonnance est passée.

Quelques élus téméraires : Dès 2004, le sénateur PS Jean-Pierre Sueur dénonçait les risques sur les PPP: « Seuls quelques rares grands groupes pourront concourir. Les architectes leur seront subordonnés. L’architecture aussi. Petites et moyennes entreprises seront totalement dépendantes du bon vouloir des majors ». Il a ainsi déposé plusieurs recours au Conseil Constitutionnel et au Conseil d’Etat, permettant d’imposer la démonstration du critère d’urgence et de complexité  pour avoir recours aux PPP. Matthieu Rouveyre, conseiller général PS de la Gironde et conseiller municipal à Bordeaux a fait de la lutte contre le PPP en général en particulier et contre le Grand stade de Bordeaux son cheval de bataille. Il persiste néanmoins ici et là des élus qui par attentisme ou par conviction refusent de souscrire à ce type de contrat.

Des architectes : Que ce soit votre serviteur ou encore Denis Dessus qui par de nombreuses tribunes dénoncent ces contrats léonins, quelques architectes continuent le combat. Le travail de Nicola Delon, que nous verrons la semaine prochaine, apporte une nouvelle pierre à l’édifice. Son court métrage, par la fiction, apporte à notre combat une vision nouvelle qui rend compréhensible cette dérive néo-libérale.

Nous n’étions pas beaucoup à nous préoccuper des contrats de PPP jusqu’à aujourd’hui, mais le scandale du PPP de l’éco-taxe a ouvert les yeux à de nombreux citoyens. Contrairement à ceux qui ont promu, nous (je) ne nous cachons pas derrière le bon sens ou le pragmatisme pour imposer une vision libérale. Nous (je) réfutons ce contrat car il est dangereux tant pour les finances publiques (ou collectivités) que pour la démocratie, c’est pourquoi nous demandons, dans un premier temps, au président de la République et au gouvernement d’abroger l’ordonnance des contrats de PPP. Le texte de la pétition en ligne est clair :

Monsieur le président de la République,

Depuis maintenant presque 10 ans, la France a autorisé par ordonnance la mise en place de Partenariat Public Privé. Ce type de contrat PPP « va réinstaller l’ère du soupçon sur le monde politique », comme le soulignait en juin 2003 au journal le Monde votre actuel ministre Michel Sapin. Les différents rapports de la Cour des Comptes ne font que renforcer les doutes quant aux bien-fondés de ces « formules juridiques contraignantes et aux financements aléatoires » (extrait de la CC). Le contrat du PPP de l’éco-taxe a mis à jour l’incongruité et la dangerosité pour l’état et les collectivités de cette aventure vouée, comme en Angleterre, à un échec et une dette augmentée et incontrôlable.
Monsieur le président de la République, il est grand temps d’abroger cette ordonnance sur les contrats de PPP du 17 juin 2004 et de mettre fin à cette gabegie qui ne fait qu’accroître les marges des grandes entreprises du BTP et affaiblir l’Etat dans les services publics.
Nous, citoyens, élus, architectes, nous vous le demandons avec la plus grande sagesse, la plus grande lucidité et ce pour le bien de tous, de la République et de la France.

Vous pouvez cliquer sur l’image pour accéder à la pétition.

7 réflexions sur “PPP : tous coupables ?

  1. Cliquer sur l’image ne fait que l’agrandir. J’ai conscience du caractère trivial d’un tel commentaire, mais ça a presque suffi à me décourager.

  2. Je vous trouve bien naifs, PPP ou pas, tous les marchés publics sont distribués, truqués, et le fruit de copinages. Alors le PPP au moins c’est franc, pas du faux-cuisme généralisé! Je rêve d’un monde ou les meilleurs projets et les meilleurs architectes seraient reconnus!

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