Indivisibilité et bons sentiments : le droit de vote des étrangers


Alors que le Front National atteignait 46,24% des voix au second tour de l’élection législative partielle de Villeneuve-sur-Lot dimanche dernier, qu’ Esther Benbassa se sentait obligé d’organiser au Sénat une cérémonie «d’octroi symbolique» du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers lundi dernier et que la gauche organisait hier une «soirée de débat festive en faveur du droit de vote pour tous les étrangers aux élections locales», un ami, Jorge Morales (musicien, musicologue et enseignant à l’Université de Paris-Sorbonne) franco-mexicain récemment naturalisé a souhaité s’exprimer sur ce qu’il considère comme une aumône que lui-même n’aurait pas accepté. Il est évident que je souscris pleinement à ces propos.

Les « progressistes » autoproclamés, dans un curieux acharnement à rendre impossible l’idée du citoyen se battent aujourd’hui pour le droit de vote des étrangers non-communautaires aux élections municipales. Quoi de plus moderne, de plus démocratique, de plus politiquement correct ? L’idéologie qui se cache derrière ce projet pétri de bons sentiments remplace en réalité la justice par la charité, la fraternité par la compassion, la citoyenneté par la convivialité (connue aussi sous le nom de « vivre ensemble » ou de care), méconnaît et décourage tout effort d’intégration ; c’est une manière pieuse de dire que les droits ne s’appliquent pas à tous de la même façon. Philippe Foussier, dans un article dénonçant « une citoyenneté à géométrie variable », analyse, démasque et démonte point par point tous les arguments avancés par les défenseurs de cette idée, à savoir : les étrangers paient des impôts, il est donc normal qu’ils votent ; cette pratique a déjà cours ailleurs et nous accusons un retard à ne pas y céder ; c’est une promesse électorale, il faut donc la tenir ; le droit de vote local est une avancée démocratique pour notre pays ; ou encore, voter va permettre aux étrangers de mieux s’intégrer. Autant de contre-vérités et de manipulations pleines de bonnes intentions qui menacent l’indivisibilité de notre République.

 Selon la déclaration de 1789, les droits de l’homme sont indissociables de ceux du citoyen. Le « peuple français » se représente aussi comme une figure de l’humanité et nullement comme un rassemblement de fait : personne n’est considéré d’emblée comme faisant partie d’un rassemblement politique, il faut pour cela s’arracher à son être et se penser comme citoyen (Cf. Catherine KINTZLER, « Peuple et citoyen », La République en questions, Paris, Minerve, 1996.), autrement dit, il n’y a pas de citoyenneté sans effort ; on peut même dire que, dans une République, le rassemblement ne peut se produire que par intégration (ibid.), par déracinement et par libre consentement raisonné et cela est valable pour tous, Français ou étrangers. A partir de là, quoi de plus absurde que de parler de « citoyenneté de résidence » ou « d’égalité au niveau local » puisque, à moins de tourner le dos à la déclaration de 89, la souveraineté ne se morcelle pas, de même qu’il n’y a pas de souveraineté politique légitime par elle-même ; de plus, penser l’égalité comme un principe variable voudrait dire que la liberté ne s’applique pas à tous, ce serait donc une inégalité qui ne dit pas son nom et qui conduirait inévitablement à une discrimination .

Ne pas avoir le droit de vote parce qu’étranger n’est donc pas une discrimination (1), ni un mal, ni une injustice puisque l’on a le droit et la liberté de vouloir ou de ne pas vouloir devenir Français. De plus, acquérir une nationalité ce n’est pas renier ou se couper de ses origines mais au contraire, réaliser l’expérience de l’universalisation (2), accéder pleinement à la citoyenneté et, à travers cette acquisition, élargir l’humanité. Ainsi, l’indissolubilité du lien entre droit de vote, citoyenneté et nationalité n’est pas seulement préservée mais insérée dans un cercle vertueux, celui de la formation du citoyen ; tâche que la République devrait prendre très au sérieux car rompre avec l’indivisibilité c’est rompre avec l’universalisme ce qui reviendrait à trahir les principes républicains. Ceux qui réclament pour tous les résidents des droits politiques locaux dans la cité se trompent sur le sens de ce mot (Sur la conception républicaine de la formation de la cité, cf. Claude NICOLET, La République en France, état des lieux, Paris, Seuil, 1992.) et, malgré les meilleures intentions du monde, ne sont pas toujours conscients de cette contradiction majeure.

Donner le droit de vote aux étrangers entérine donc une forme de communautarisme politique – mal déjà inoculé par le traité de Maastricht – en octroyant à une portion de la société des droits spécifiques en fonction d’une donnée qu’elle n’a pas choisie : le fait d’être né ailleurs qu’en France. Pays que les apôtres de la diversité, obsédés par leur prochain au détriment de l’idée du citoyen voudraient transformer en une juxtaposition de communautés – les Bretons et les Alsaciens, les hommes et les femmes, les Français et les étrangers (3)… – où l’on apporte les bienfaits de la démocratie ; c’est la fin de la République une et indivisible. Que veulent-ils, au fond ? Que ces étrangers à qui l’on veut bien donner quelques miettes de citoyenneté en leur permettant de voter à des élections mineures restent identifiables et qu’ils se souviennent bien qu’ils nous doivent tout. C’est la politique de la génuflexion. Personnellement, avant de demander la nationalité française et de devenir citoyen français, je n’aurais jamais accepté l’aumône d’une telle « mesurette » démagogique, électoraliste et compassionnelle, marque d’une absence patente de courage politique, masque de l’abandon des principes de la Révolution française ; c’est aussi une manière de jeter Marianne dans les bras de Marine.

 Une vraie mesure républicaine viserait d’abord à promouvoir l’école, la laïcité et les humanités pour ensuite assouplir les conditions d’accès à la nationalité. Une République vraiment universelle « n’hésitera pas à naturaliser tous les étrangers susceptibles de participer à tous les échelons à la construction de celle-ci et ne peut permettre d’avoir des citoyens de première, deuxième et troisième classe » (Régis DEBRAY, « République ou Démocratie », Contretemps, Paris, Gallimard, 1992.) Il nous faut donc mettre au centre des « principes » républicains soutenus par des fondements philosophiques et historiques et non pas des « valeurs » guidées par l’air du temps. Voilà quelques pistes de réflexion pour défendre l’indivisibilité de notre République et pour rappeler que les bonnes intentions démocratiques pavent le chemin de l’enfer inégalitaire (4).

  Jorge Morales


(1) Toute inégalité n’est pas forcément une discrimination. S’il faut, bien entendu, combatte les discriminations, l’inégalité n’est injuste que lorsqu’elle soumet un homme à un autre, lorsqu’elle fait obstacle à la liberté d’autrui. Cf. Nicolas de CONDORCET, « Premier mémoire sur l’instruction publique », Cinq Mémoires sur l’instruction publique (1791).

(2) Rémi BRAGUE a développé dans Europe, la voie romaine, Paris, Critérion, 1992, le concept de « secondarité culturelle » selon lequel la culture en Europe est historiquement quelque chose de « fondamentalement étranger ». C’est en s’appropriant une source culturelle située toujours en dehors d’elle-même, qu’elle a pu connaître une série d’incessantes renaissances. On peut dire que l’Europe est « immigrée à elle-même », qu’elle a « appris à lire ailleurs » et c’est cela qui fait en même temps sa grandeur et sa chance ; encore une fois, c’est la rupture qui se révèle féconde. Voir aussi Charles COUTEL, Orienter l’Europe. La Turquie et nous, Nantes, Pleins Feux, 2005.

(2)  Le droit de vote des étrangers comme la parité ou encore les chartes des langues régionales se nourrissent de la même logique anti-universaliste et foncièrement antirépublicaine.

(4) Toute politique guidée par des bons sentiments est une mauvaise politique. Cela est également valable dans d’autres domaines comme par exemple l’école, cf. l’article de Jean ROBELIN publié dans l’Humanité :

8 réflexions sur “Indivisibilité et bons sentiments : le droit de vote des étrangers

  1. Si notre république est « universelle » je ne vois pas en quoi la nationalité devrait définir la citoyenneté, si nous sommes socialistes et donc internationalistes je ne vois pas en quoi la nationalité devrait être un critère de citoyenneté.
    Je ne suis peut-être pas spécialiste mais je trouve la thèse de ce texte navrante. Elle instrumentalise une vision de la révolution française et des principes républicains. La révolution Française s’est pensée comme universelle dès ses début et a donné la citoyenneté à des gens qui n’étaient pas français, leur a donné des responsabilités, des fonctions électives! Quand en 1870 le peuple de Paris désigne Garibaldi comme son représentant à l’Assemblée nationale demande-t-il une preuve de sa nationalité ou son attachement à la république! Quand les citoyens élisent au conseil de la commune le Hongrois Frankel sa nationalité a-t-elle joué? Pareil quand ils mirent à la tête de la garde nationale les polonais Wroblewski et Dombrowski.
    Alors non pour moi donner le droit à la parole à des gens qui n’ont pas voulu, pas pu devenir français ce n’est pas faire du communautarisme mais répondre à une idée qui traverse l’histoire de la république et de la gauche. Ce n’est pas du communautarisme à moins de penser que tous les émigrés vivent enfermé des des cercles hermétiques et ne voteraient qu’en fonction d’ordre donné dans ces cercles (en louchant vers les musulmans et la mosquée bien sur…).
    Le communautarisme je le vois déjà quand au lieu de s’adresser aux citoyens on s’adresse aux gens en fonction de la nationalité de leurs parents, de leurs frères ect…
    Alors non le droit de vote pour les étranger ne divise pas la république il la rassemble dans son but profond, universel.

    • Il n’est pas étonnant de lire de la part d’un lecteur « socialiste » (qui se contredit toutes les deux phrases) un commentaire dénonçant l’imprécision ou « l’instrumentalisation » dans ce que j’ai écrit. La pensée unique considère toujours l’examen critique et la dissonance comme injurieux ou « navrants » et est en général heurtée quand on lui rappelle les principes qu’elle a trahis (et qu’elle croit défendre), quand on la met en face de ses contradictions, quand on fait tomber les masques trompeurs de la « férocité » de ses bons sentiments, pour reprendre les mots de Rousseau. Ne pas voir le lien entre universalisme, nationalité et citoyenneté c’est ne rien vouloir comprendre à la thèse que je défends qui n’a justement rien à voir avec le fait de « donner le droit à la parole » aux étrangers (ou à qui que ce soit). Plus un homme est accoutumé à suspendre ses particularismes, plus il est apte à l’universel ; le concept de citoyenneté (qui n’est pas une vue de l’esprit mais une idée philosophique) éclaire très bien cette idée.
      Le communautarisme politique c’est la sacralisation du « vivre ensemble » ; la société domine l’Etat et ne lui demande que des lois, on subordonne l’égalité à des sentiments d’appartenance, on prend les droits de l’homme (en se gardant bien de parler du citoyen) comme une parole qu’il faut croire, etc. ; c’est l’officialisation de la différence des droits au nom du sacro-saint « droit à la différence ». Elle prend en l’occurrence le nom de « citoyenneté de résidence », elle peut prendre aussi le nom de « discrimination positive » (idée chère à Sarkozy), de parité, d’équité (là encore des idées parfaitement sarko-compatibles) ou encore d’autres appellations inspirées par des « bonnes intentions » démocratiques. Il s’agit en fait de la même chose : la rupture de l’égalité des droits au nom de l’égalité des droits ; c’est donc une logique perverse et c’est pour cela que je la dénonce. Elle consiste à ériger (instrumentaliser) un groupe (les étrangers non communautaires, qui pour la plupart ne demandent rien !) en agent politique, à vouloir pour lui des droits et des devoirs spécifiques (voter à des élection mineures). C’est ce que Condorcet aurait appelé et avec la plus grande méfiance « la théorie des corps intermédiaires ». Ces corps intermédiaires ou pouvoirs partiels tuent la République et font le lit du communautarisme. Il ne faut pas oublier non plus que la démocratie associative était une idée chère à Mussolini. Voilà ce que j’ai essayé de démontrer en quelques lignes dans mon papier. Je n’instrumentalise donc aucun concept, je ne fais que les exposer et tenter de les placer dans une perspective critique et historique (c’est pour cela que je cite Condorcet, Rémi Brague ou Nicolet).
      Il faut être bien naïf ou de mauvaise foi (ou les deux) pour ne pas voir que donner le droit de vote aux étrangers est une revendication de « représentation » politique sur la base exclusive d’une particularité collective alors que le corps politique est formé uniquement par des individus. C’est pour cela (et non pas parce que je veux que cela soit ainsi) que cette idée est contraire à l’universalisme et aux idéaux de la Révolution française. Au lieu de combattre la tribalisation de la société, on l’organise en transcendant une vision morcelée de la société et en déclarant sans aucun fondement philosophique (c’est ce que j’appelle « l’air du temps ») que cela est moderne, universel, social, fraternel, etc., et que tous les opposants à cette idée sont des ringards manipulateurs.

      Enfin, la vision anti-nationale qui transparaît dans le commentaire est assez cocasse de la part d’un socialiste. Si les étrangers cités sont devenus citoyens, par le même fait ils ont été faits Français (sans qu’ils n’aient rien à renier de leur nationalité d’origine). Les socialistes qui vénèrent Jaurès sans l’avoir lu devraient pourtant méditer ces mots archi-connus : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme en rapproche. » Jaurès selon lequel la « patrie nouvelle (…) ne peut se développer que par l’autonomie des nations, l’essor des démocraties et l’application à de nouveaux problèmes de toute la force des génies nationaux, c’est-à-dire par la continuation de l’idée de patrie jusque dans l’humanité. » Pour Jaurès, les mots « nation », « patrie » n’étaient pas infamants et la droite nationaliste qui usurpe ces mots prospèrera tant que les socialistes trahiront le socialisme républicain…

  2. Mélanger investissement politique dans le pays dans lequel on vit (donc citoyenneté), et nationalité est non-avenu ! Et oui, dans beaucoup de pays, prendre la nationalité du pays dans lequel on vit veut dire perdre « sa » nationalité. La nationalité définit de manière très forte un individu. On peut vouloir en changer. On peut aussi vouloir la garder et s’investir dans un pays dans lequel on n’est pas naît ! Vouloir être citoyen à part entière ne veut pas dire devoir prendre une autre nationalité ! Alors oui la question est d’autant plus compliquée si les ressortissants n’ont même pas l’envie de devenir français.

    • J’ai exprimé mon opposition au droit de vote local et ai essayé de démontrer en quoi il s’agit d’une vaste mascarade, en quoi cela est contraire à l’indivisibilité républicaine. Je n’ai jamais dit que la naturalisation était une étape obligatoire pour « s’investir » dans le pays où l’on vit. Jamais un étranger n’a été empêché d’être un membre actif de la société parce qu’étranger. Par exemple, un parti politique ou une association de type loi 1901 ne demande pas à ses membres d’avoir la nationalité française (ni aucune autre) pour adhérer ni pour avoir des responsabilités. Or, justement, le droit de vote ne se situe pas du côté de la société civile, il relève de la constitution du corps politique, c’est tout-à-fait différent. Pour donner corps au corps politique républicain, on doit éviter toute conduite qui serait de l’ordre de l’immédiateté, de la spontanéité des volontés ou qui substituerait le social au politique ; c’est pour cela qu’il doit être absolument séparé de la société. Confondre corps politique et société civile est l’une des erreurs majeures des défenseurs du droit de vote des étrangers puisque dans une République le droit de vote on l’a ou on ne l’a pas, mais quand on l’a c’est à part entière puisque la citoyenneté ne dépend pas d’une situation mais d’un statut de droit.
      Enfin, en ce qui concerne la question de la perte de sa nationalité d’origine, ce n’est pas la France qui interdit la double nationalité, cela serait contraire à l’universalisme. S’il y a des pays qui ne le permettent pas, malheureusement, la France n’y peut rien, ce n’est pas à elle de décider de leur politique.

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