Adieu camarade Oscar.


Article publié initialement par Le Plus du Nouvel Obs

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Il était considéré comme le plus grand architecte brésilien de l’histoire. Oscar Niemeyer vient de s’éteindre à l’âge de 104 ans. « Père » de la ville de Brasilia et du siège du Parti communiste français (PCF) à Paris, l’architecte revendiquait sa proximité avec les idées communistes. Considéré comme le plus célèbre architecte brésilien voire du monde, Oscar Niemeyer s’est éteint ce jour à l’âge de 104 ans. Fervent athée et militant communiste : ‎ »Il ne reste plus que 2 communistes au monde: Oscar (Nieyemer) et moi » dira même Fidel Castro en visitant l’agence de l’architecte en 1995. 

Une architecture sensuelle

 L’architecte brésilien a participé à la réalisation de plus de 600 œuvres en 70 ans de carrière. Un record. Il aura marqué le siècle par son architecture sensuelle, avec ses bâtiments tout en courbe :

 « Ce n’est pas l’angle qui m’attire. Ni la ligne droite, dure, inflexible. Ce qui m’attire, c’est la courbe sensuelle que l’on trouve dans le corps de la femme parfaite. »

 C’est aujourd’hui tout un pays qui est en deuil, le gouverneur de Rio, Sergio Cabral, a même décrété un deuil de trois jours en hommage « au génie de l’architecture mondial, ferme dans ses convictions et aimé du peuple brésilien ». Mais c’est aussi toute une profession qui pleure un maître incontesté du « Mouvement moderne ».

 Jeune étudiant arrivé à Paris en 1999 pour suivre des études d’architecture, j’avais entendu comme tous mes camardes de promotion parler d’Oscar Niemeyer.

 La principale question à l’époque était de savoir s’il était encore en vie ou non. Wikipédia n’existait pas encore et Internet était peu présent à l’école. Le siège du Parti communiste français (PCF), situé à quelques centaines de mètres de l’école d’architecture de Paris Belleville, nous prouvait néanmoins que son œuvre était elle bien vivante.

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Le musée d’art contemporain à Niteroi

Admirés par les étudiants pour son esprit libre

Avec quelques-uns, nous allions visiter cet édifice et découvrions émerveillés la salle du comité central et la moquette verte des couloirs de ce superbe bâtiment. Ignares, nous apprenions aussi que ce talentueux architecte était communiste et que son œuvre était très liée à ses idées.

« Je ne me tairai jamais. Je ne cacherai jamais mes convictions communistes. Et celui qui me contacte en tant qu’architecte connaît mes conceptions idéologiques. (…) Durant mes conférences, j’ai toujours souligné que l’architecture n’était pas l’essentiel. Ce ne sont pas des propos méprisants. Comparez l’architecture avec la vie, l’être humain, la lutte politique, la contribution que nous apportons tous à la société pour nos frères déshérités. Que représente l’architecture par rapport à la lutte pour un monde meilleur, sans classes ? »

C’est donc surpris que quelques mois plus tard nous apprenions que, contrairement à Oscar Niemeyer qui n’a jamais trahit ses idées, le PCF, lui, louait cette mythique salle du comité central à une vendeuse de fringues et de chaussures pour bourgeoises mondaines : « Prada ».

Peu étudié pendant nos six longues années d’études, notamment en comparaison de Le Corbusier, Niemeyer jouissait pourtant d’une certaine affection des étudiants en architecture. Non seulement parce que son architecture est libre formellement (mais surement pas un styliste) mais aussi parce qu’elle est libre intellectuellement :

« Je n’ai aucun enthousiasme pour l’architecture rationaliste avec ses limites fonctionnelles, sa rigidité structurelle, ses dogmes et ses théories. L’architecture est faite de songe et de fantaisie, de courbes généreuses et de grands espaces libres. Je me rappelle comment beaucoup m’accusaient de formalisme, de pénétrer dans les formes gratuites qu’ils craignaient tant. Je ne les ai jamais pris au sérieux. Le béton armé permet à l’architecte qui a le sens de la poésie de s’exprimer. Il faut savoir inventer, en faisant appel à toutes les techniques qui sont à notre disposition. Pourquoi se soumettre à des règles, à des principes intangibles ? »

Les œuvres d’Oscar Niemeyer peuvent vous inspirer des réactions diverses : beau, laid, bon, mauvais… Mais elles ne peuvent pas vous laisser indifférents. L’architecture, pour moi, c’est cela. Je suis architecte aujourd’hui, je n’ai pas la carrière de ce dernier et ne l’aurait surement jamais, mais sa disparition finit d’achever la transformation d’une profession qui n’a définitivement plus rien d’éthique.

Idéaliste et communiste, Oscar Niemeyer était un homme de valeurs (que l’on aime ou non). Il ne s’est jamais compromis, contrairement à la nouvelle génération d’architectes tels que Rem Koolhaas pour Prada, Jean Nouvel pour H&M , Zaha Hadid pour Chanel. Tous vendus à la doxa libérale mais encore donneurs de leçons.

Qui résiste encore aujourd’hui ? Qui sont les architectes qui peuvent encore nous faire croire, à nous, jeunes professionnels, à un idéal ?

Oscar Niemeyer va me manquer, va nous manquer. Il restera, heureusement, ses constructions, ses écrits et ses colères. J’ose espérer que son décès permettra une relecture de son œuvre et, qu’au profit du mythe naisse un idéal. Je garde gravé au fond de moi son message :

« Il est plus important d’aller protester dans la rue que de faire de l’architecture. »

Adieu camarade Oscar.

Additif: A voir la une de Libération et d’autres journaux de droite, j’en profite pour rajouter le petit passage très juste d’un ami américain:  » Déplorer la mort d’Oscar Niemeyer tout en appelant à la mort du communisme, c’est prouver qu’on n’a rien compris à l’œuvre d’Oscar Niemeyer. Ceux qui le font sont souvent les mêmes qui nous présentent le capitalisme comme la « fin de l’histoire », comme l’horizon indépassable de notre temps. Qu’ils arrêtent donc cette mascarade et qu’ils se félicitent donc de la mort d’un homme qui œuvrait à un avenir différent — un avenir fondé avant tout sur le partage et la solidarité des peuples plutôt que sur le rapace, mais aussi un avenir où l’on ne réduirait pas l’œuvre d’un architecte communiste à un objet culturel sans portée politique, dont on peut tranquillement discuter lors d’une soirée mondaine. « 

Voir ses œuvres :

Le Monde : Ici

La BBC : Ici

PS : Je ne suis pas communiste.

Une réflexion sur “Adieu camarade Oscar.

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