L’indécente piscine Molitor.


« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. » Dans son roman 1984, Georges Orwell invente la novlangue afin d’éliminer tout autre mode de pensée et idée hérétique. La communication ou plutôt le storytelling autour de la soi-disant réouverture de la piscine Molitor nous montre à quel point nous sommes entrés dans cette ère où la désinformation, la tromperie et la duperie font lois. « La destruction, c’est la restauration. Les riches, c’est le peuple. Le privé, c’est le public. » Tels pourraient être les slogans de cette indécente piscine Molitor.

L’indécence municipale.

Ne jetons pas la pierre à la seule équipe Delanoë, pendant 25 ans, les différents édiles parisiens (Chirac et Tiberi) n’ont rien fait, laissant à l’abandon la piscine puis aux graffeurs le soin de détériorer définitivement le bâtiment. La seule responsabilité de l’équipe sortante a été de choisir un bail emphytéotique administratif de 54 ans (4 ans d’études et travaux, 50 ans d’exploitation) pour réaliser ce projet. L’excuse de ce choix a été le même que le Stade Jean Bouin et le zoo de Vincennes tous deux réalisés en PPP : l’incapacité de la ville de Paris à supporter de tels investissements pour des activités non rentables. Mais alors comment se fait-il que le cinéma le Louxor ait été brillamment sauvé par la ville de Paris pour la modique somme de 29 millions d’euros ou encore que penser du financement d’un lieu de culte pour quelques millions d’euros au détriment d’un véritable service public du sport, ici dans le XVIème qui souffre d’un réel déficit d’équipement ? Une piscine seule, sans hôtel, spa, et luxe démesuré n’aurait pas coûté 65 millions d’euros. Néanmoins, la mairie de Paris reste fière de ce projet qui, affirme-t-elle, a permis la sauvegarde de la piscine Molitor. Sauvé vraiment?

L’indécence architecturale et patrimoniale.

Dans un article paru dans la Tribune de l’Art, Didier Rykner s’insurge à juste de titre de « l’imposture patrimoniale » de cette « restauration » qui n’en est pas une. Le bâtiment original de Lucien Pollet, architecte, a été rasé intégralement, seul un mur de façade a été conservé. L’image de Google Earth prise pendant les travaux et visible ici montre les ombres projetées de la façade principale restée seule debout comme un décor de cinéma en carton. Le bâtiment a été entièrement reconstruit, surélevé, modifié, interprété, pastiché. C’est la négation de l’architecture et du patrimoine. La presse nationale idiote récite aveuglement le communiqué de presse de l’établissement : « les balcons ont été sauvés, moulés, puis refaits à l’identique, les cabines de douches sont conservées… ». Alors que tout est bidon. C’est à se demander l’intérêt d’avoir classé cette piscine à l’inventaire du patrimoine et des monuments historiques si l’argent peut tout acheter, tout raser, tout reconstruire pour une clientèle internationale avide de 5***** toujours plus standardisé.

L’indécence financière. 

Comme nous l’avons vu, la presse s’occupe bien de la publicité de la piscine Molitor, c’est ainsi que nous avons eu connaissance des tarifs, 300 euros la chambre avec accès au spa, la piscine, la terrasse… Mais ce n’est pas tout, cet établissement géré par le groupe Accor sera un club de fortunés dont l’adhésion se fera par cooptation avec 1200 euros de droit d’entrée et 3300 euros l’année. Les pauvres riches qui ne pourront pas accéder au Graal de la carte de membre pourront se rabattre sur une journée au bord de la piscine à 180 euros. Des élus parisiens socialistes se sont émus de ces tarifs, mais comme le rappelle Julien Bargeton, adjoint aux Finances de la mairie de Paris: « les termes du contrat conclu -un bail emphytéotique administratif- ne permettent pas l’intervention de la Ville dans la fixation des tarifs ». Imaginez une seule seconde que la droite aux affaires eut fait un tel projet, que n’aurait-on pas entendu de la bouche des socialistes d’opposition ?

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L’indécence de ces tarifs n’a d’égale que l’indécence architecturale et patrimoniale de ce projet pastiche vulgaire fruit du cerveau cupide de fonds d’investissements. Comme nous l’avons vu précédemment avec le cas de la Samaritaine, les règlements urbanistiques et patrimoniaux, pourtant décidés par ceux qui les condamnent, ne servent à rien. On peut s’asseoir dessus en rasant un bâtiment classé en le défigurant. Les défenseurs absolus de la modernité s’offusquent dès lors que l’on s’oppose à tel ou tel projet au nom du patrimoine – non pour figer la ville mais pour la respecter, la sublimer – pour surtout ne pas faire de Paris une ville musée, comme si le musée était quelque de chose de sale. Un musée, ça tourne, ça instruit, ça propose des expositions permanentes mais aussi des temporaires, c’est vivant un musée. A l’inverse, Paris se transforme en ville hôtel, de la Poste du Louvre à la Samaritaine en passant par cette piscine, le patrimoine de parisien est offert sur un plateau à toujours d’investisseurs privés pour le transformer en suite avec vue. À choisir, je préférais toujours un musée à un hôtel.

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22 réflexions sur “L’indécente piscine Molitor.

  1. C’est vrai que c’est un véritable scandale, sans doute le pire concernant le problème plus général des piscines dans notre pays: Un cran en dessous, combien de mairies ont fermées une piscine municipale en centre ville (pour réaliser une opération immobilière) pour en rouvrir une en périphérie, moins accessible et en général déléguée au privé (vert/bleu-marine…) avec des tarifs en hausse « justifiés » par un espace bain massant/vagues. C’est pas avec cela que l’on va renouveler nos nageurs de haut niveau. Pourtant, nous en avons eu de bons ces dernières années.
    Pour cela il faudrait des piscines accessibles tout simplement faites pour nager.

    • Effectivement, dans notre ville nous avions un bassin olympique et fosse de sauts, mais la ville a fermé cette piscine pour construire un complexe plus ludique, 2km plus loin, mais sans véritable grand bassin.

  2. le tire resume tout.. merci c’est un scandale ils ont volés et coulés pour toujours nos souvenait d’enfants même les célèbres cabines aux portes bleues ont été bafouées elles ne sont plus qu’un immense trompe oeil.. je pleure

  3. Ce sont les années d’errement qui ont condamné Molitor. Comme les travaux l’ont révélé, le bâtiment a du être rasé pour être reconstruit à l’identique. La démarche, couteuse, aurait été la même si la Ville avait voulu rénover l’édifice.
    Si la municipalité avait voulu ouvrir une nouvelle piscine dans un budget raisonnable, elle aurait très probablement du raser l’édifice et là aussi nous aurions entendu des réactions outrées.
    Les dernières années ont montré que la Ville de Paris n’a pas vraiment l’intention de développer une offre d’équipements sportifs pour les habitants du 16ème. Ce serait même l’inverse avec leur remplacement par des équipements pour le sport professionnel (Jean Bouin, Roland Garros, Parc des Princes).
    Enfin, concernant les tarifs, on ne peut pas reprocher à une entreprise de vouloir réaliser des profits à partir de son investissement. C’est sa nature.

  4. Molitor ou le hold-up d’un mythe…

    1929-89 : soixante années de bains mythiques. 1989-90 : portes fermées, projet de complexe hôtelier prévoyant de raser la piscine, inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. 1989-2008 : près de vingt ans de saccage, pillage, abandon… Merci Chirac, merci Tibéri. Merci aussi à l’Etat qui classe sans bourse délier. Dans les années 2000 : plusieurs études concluant à l’absence d’alternative à la démolition vu l’état très dégradé des bétons. 2008 : choix de Colony capital, fonds de pension américain associé au groupe ACCOR et à Bouygues….

    19 Mai 2014 : 150 journalistes présents, météo radieuse, soins estampillés By Clarins, bains dans le bassin d’été avec maillots de bain offerts, peignoirs à disposition, soins offerts au spa…, barbecue et champagne à volonté en terrasse… Tout çà ne rend pas très curieux, encore moins critique!!! Bien que chaleureusement remercié par le PDG d’Accor, Bertrand Delanoé s’est bien gardé d’être de la partie, sa dauphine aussi. Le coup de pub était parfait et somme toute peu coûteux au regard du buzz médiatique qui allait s’en suivre pour doper les réservations de l’hôtel (300 à 800 euros la nuitée) et les candidatures au très sélect club des mille membres (1200 euros de ticket d’entrée + 3300 de cotisation).
    Quant au forfait journalier de 180 euros pour nager dans le luxe, autant dire qu’il a pour unique fonction de masquer le hold-up de ce lieu mythique, désormais interdit à tous les parisiens qu’il faut absolument dissuader de se présenter au guichet…

    Comble du mauvais goût : la rolls taguée à l’entrée de l’hôtel…

    Confisquée la mémoire collective des parisiens, dont tous ceux encore émus par leurs premières brasses ou leurs premiers amours à Molitor. Le tout dans une capitale, équipée d’une piscine pour 60 000 habitants, ne créant que de nouvelles pataugeoires avec bassins de 25 mètres et vantant le mérite de ses plages de bitume à fouler l’été quand la chasse à l’automobiliste est ouverte.

    Il fut un temps où les partenariats public-privé se montraient plus vertueux! Exploitée par une société privée, la Société des piscines de France, dès son ouverture en 1929, au même titre que Pontoise, Pailleron et La Jonquière du même architecte, Molitor a longtemps tenu du mythe populaire. Sous couvert de renaissance patrimoniale, la municipalité de Bertrand Delanoé n’a pas craint de le tuer.

  5. Cette piscine a jamais été publique et sa rehab réelle était techniquement et financièrement trop lourde , la c déjà 80 millions d euros de rehab faite par le groupe Accor , voilà pourquoi le prix d entrée est cher et la rehab n est pas un symbole pour le respect pastocho à l identique prôner par les « maitres re l’art  » , le porte feuille comptant d autant que le 16 à déjà deux piscines , peut être faut il gueuler pour gueuler

    • Cette piscine n’a certes jamais été publique, mais moyennant un tarif légèrement supérieur à celui des piscines municipales, tous les parisiens pouvaient s’offrir le plaisir d’y nager, d’y bronzer ou d’y patiner!!!

      • Merci pour cet article. Beaucoup de revue de presse qui ne soulevait pas ces points.
        Effectivement l’offre est clairement adapté pour les très gros porte-monnaie, dommage on n’aura pas le plaisir d’y nager !

  6. A reblogué ceci sur djefbernieret a ajouté:
    Tiens j’en avais entendu parler mais pas comme çà. Cela dit « Les riches c’est le peuple » ç’est assez parlant vous ne trouvez pas quand on s’inquiète de la situation politique et le pourquoi qu’ils ne changeraient pas un peu de ligne les têtes piloteuses au gouvernement.

  7. Une piscine que j’aurai tellement eu envie d’essayer à sa réouverture, mais le prix est hélas bien cher… Plus qu’à profiter de ma propre piscine dans le jardin cet été !

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