Charte des langues régionales : la trahison des socialistes.


Comme aimait à le répéter Charles Péguy : « Les socialistes sont nés pour trahir ». Cette trahison cette fois, c’est celle de la République avec la tentative crapuleuse de députés de la majorité qui tentent, en ce moment à l’Assemblée nationale, de faire ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Crapuleuse, car sous couvert de bons sentiments – qui peut-être contre l’apprentissage de langues, fussent-t-elles régionales et/ou minoritaires ? – cette charte est en fait une bombe à retardement des partisans d’une Europe des ethnies contre les États-nations qui « ne vise pas à défendre des langues minoritaires mais les langues de groupes ethniques, sur une base foncièrement raciste », comme le rappelle la chercheuse Françoise Morvan dans un texte publié dans Mediapart.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fut adoptée avec la convention européenne de 1992 sous les auspices du Conseil de l’Europe pour protéger et pour favoriser les langues historiques régionales et les langues des minorités en Europe. Les États ayant signé et ratifié la charte s’engagent à :

  • reconnaître les langues régionales ou minoritaires en tant qu’expression de la richesse culturelle ;
  • respecter l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire ;
  • entreprendre une action résolue de promotion de ces langues ;
  • faciliter et encourager l’usage oral et écrit dans la vie publique et dans la vie privée ;
  • mettre à disposition de formes et de moyens adéquats d’enseignement à tous les stades appropriés ;
  • interdire toute forme de distinction, discrimination, exclusion, restriction ou préférence injustifiées portant sur la pratique d’une langue régionale ou minoritaire et ayant pour but de décourager ou de mettre en danger le maintien ou le développement de celle-ci ;
  • promouvoir la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays.

A ce jour, la France a signé cette charte en 1999 mais ne l’a toujours pas ratifié.  En 1999, le Conseil Constitutionnel a même estimé que cette charte était en contradiction avec la constitution. En effet, l’article 1 de la Constitution stipule que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. » En conséquence, les principes fondamentaux de la République « s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. » D’autre part, Conseil Constitutionnel rappelle que les dispositions de cette charte sont anticonstitutionnelles « en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la “vie privée” mais dans la “vie publique” à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics. » Car le problème est bien là, cette charte n’a pas pour unique but de reconnaître les langues régionales (ou minoritaires, terme fortement oublié par les défenseurs de la charte) mais bel et bien de donner des droits à des minorités ethniques d’utiliser leur langue minoritaire dans leurs relations avec l’administration et l’Etat. Cette charte permet d’offrir à des groupuscules radicaux (on pense à BreizAtao, Nissa Rebela ou encore le Parti Nationaliste Basque….) les armes légales à des revendications régionalistes. Bien loin des principes républicains que la gauche est sensée défendre.

Si la gauche de gouvernement parait dans son ensemble soudée sur la question, il reste quand même quelques élus de gauche républicains (ici ou ) encore lucides sur cette charte dont un Robert Badinter :  « Ratifier un engagement international qui oblige les Etats à fonder “ leur politique, leur législation et leurs pratiques sur les objectifs et les principes suivants : le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire […], la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales dans la vie publique et privée » s’avère incompatible avec la conception d’une République indivisible dont le français est la seule langue admise par la Constitution dans l’espace public. De même, “ s’engager à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ” serait donner un fondement légal, sur la base d’une convention internationale, à la revendication collective des régionalistes les plus radicaux. »

Cette charte est donc bien un outil au service de l’ethno-régionalisme comme le décrit très bien Yvonne Bollmann dans son livre « La Bataille des langues en Europe » car, comme l’extrême-droite, les promotteurs de celle-ci défendent une vision ethno-différencialiste anti-républicaine et anti-universaliste de la France (le jacobinisme est un racisme, c’est bien connu). Comme le décrit Pierre-André Taguieff dans La force du préjugé : essai sur le racisme et ses doubles (1987), l’ethno-différencialisme, c’est entre autre, le déplacement de la race vers la culture. Un peu à la manière d’un François Hollande qui a supprimé le mot race dans la constitution pour mieux y faire rentrer, avec cette charte, le mot « ethnie ». La gauche au pouvoir ferait mieux de ré-armer la République plutôt que « d’alimenter la politique des identités », comme le dit avec justesse le député Jean-Luc Laurent dans une tribune au Huffington Post.

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15 réflexions sur “Charte des langues régionales : la trahison des socialistes.

  1. C’est marrant, vous entendez défendre la république et ses valeurs en vous appuyant sur les mêmes arguments que les fachos de Riposte laïque.

    Pour mémoire : les langues ne sont pas responsables du discours des gens qui les parlent. Il ne tient qu’à vous d’apprendre le basque pour que les terroristes de l’ETA ne puissent plus l’utiliser comme symbole.

    Ce n’est pas parce que les musulmans parlent arabe que l’arabe leur appartient, de même que ce n’est pas parce que la République française a inscrit le français dans sa constitution (seulement depuis vingt ans, rappelons-le) que le français appartient aux Français.

    Copé est l’un des rares à avoir proposé l’enseignement de l’arabe à l’école. C’est bien dommage. Si tous les Français parlaient arabe, les barbus seraient bien incapables de revendiquer l’arabe comme symbole de leur religion. Et Copé serait bien incapable de brandir l’épouvantail du communautarisme.

    Comme le rappel Claude Hagège, grand pourfendeur de la pensée unique, imposer sa langue, c’est imposer sa pensée (Contre la pensée unique, 2011).

    L’important ce n’est donc pas de savoir qui cette Charte sert. Comme tous les outils, elle peut être utiliser par ceux qui s’en saisissent : Vous, Nous, Eux, l’Autre ou même moi.

    L’important est de savoir comment on peut l’utiliser pour protéger le faible contre le fort, ce qui est à mon sens l’une des valeurs les plus anciennes de la patrie des droits de l’humain.

    Je déteste Copé de tout mon cœur et je déteste les extrémistes de tous poils, mais tous les linguistes vous le diront : « War is what happens when language fails », la guerre est ce qui se produit quand le dialogue échoue (Margaret Atwood), et pour bien dialoguer avec l’Autre, rien ne fonctionne mieux que d’aller vers lui et de parler sa langue, quelle qu’elle soit.

    Je suis fan de l’Abeille et l’archi et je le resterai sans doute, mais là, je crois que vous tirez sur l’ambulance. C’est dommage.

    Une belle journée quand même.

    Pierre

    • Moi je pense à une très belle phrase de Nelson Mandela. Dans ses mémoires, il dit :  » J’ai voulu unifier les combattants autour de l’idée de la reconquête et de libération. Au bout d’un moment, je me suis aperçu que je ne pouvais pas car ils ne parlaient pas la même langue. La première chose à unifier est celle là (…) On ne peut pas comprendre un peuple sans une même langue et on ne peut pas non plus lui parler. »

    • C’est l’argument massue habituel : comment vivre ensemble si nous n’avons pas de langue commune ?

      Un grand homme Mandela, cela ne fait aucun doute. Mais comme de nombreux chefs d’États beaucoup plus mal intentionnés qui ont utilisé ce même argument, il me semble qu’il se fourvoyait.

      Les Nazis entendaient unifier les peuples ariens en imposant la Muttersprache (notamment face au multilinguisme juif) et Franco entendait unifier l’Espagne contre la république, qui rappelons-le, était unie dans la diversité linguistique (tout comme est supposée l’être l’Union européenne) : il est allé jusqu’à effacer des noms basques et catalans sur les tombes dans le but de réécrire l’histoire.

      Et c’est aussi le discours que tiennent aujourd’hui les multinationales qui pensent que ce serait beaucoup plus facile de lancer des campagnes de commercialisation mondiale et de s’imposer sur des marchés étrangers si toute la planète parlait anglais…

      Ne vous laissez pas leurrer par les gens qui se servent des langues comme symboles.

      Les langues sont l’un des plus beaux outils de communication élaborés par la race humaine. Chaque fois qu’une langue meurt, quelle qu’elle soit (patois, parler, dialecte, sabir, créole, appeler-les comme vous voudrez), c’est un morceau de l’aventure humaine qui disparaît à jamais.

      C’est à lutter contre ça, aussi, que peut servir cette Charte.

      • Les langues régionales et minoritaires ne sont ni menacées ni en danger. Elles sont enseignées librement et chacun a le droit de l’apprendre. Le problème de cette charte n’est pas là et c’est ce que j’essaye d’expliquer. En réalité, cette charte a pour objet de permettre la reconnaissance de minorités (ou « groupes » de locuteurs à l’intérieur des « territoires » dans lesquels ces langues régionales sont pratiquées) jouissant de droits collectifs, notamment le « droit imprescriptible » de pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seulement dans la « vie privée » (ce qui est bien entendu le cas actuellement!) mais également dans la « vie publique », c’est-à-dire entre autres dans les relations avec les administrations et les services publics.

  2. Quand j’étais gamine déjà, le débat sur le Corse obligatoire à l’école faisait rage. Au final ce qui était proposé au collège, concrètement, c’était 1h de cours par semaine, ça servait à pas mal de personnes, histoire de remonter leur moyenne. Personnellement, j’ai été ravie de pouvoir CHOISIR l’italien (ainsi que l’espagnol par la suite). N’ayant pas de grands parents là haut sur la montagne, je ne voyais pas vraiment l’intérêt, sauf si j’avais eu la velléité de faire ma vie là bas, ce qui n’était pas vraiment mon plan de carrière, même à 14 ans.

    Même combat à Barcelone, la tripotée de personnes qui m’expliquait le bien fondé d’apprendre le catalan plutôt que l’espagnol classique. J’avais mon mémoire sur les camps franquistes sous le bras, et j’ai expliqué à ces gens là que oui, je respectais leur histoire, je trouvais ça scandaleux qu’il y ait toujours des statues à l’effigie du Caudillo, mais que non, leur langue était très moche et qu’il était hors de question que j’apprenne cette infamie.

    Les corses veulent leur(s) langue(s) (oui parce qu’il y en a plus d’une) parce qu’ils se considèrent comme la dernière colonie française, les catalans pour se dissocier de l’Espagne… J’approuverai toujours le fait d’apprendre une langue, mais à l’unique condition que l’on me foute la paix, les régionalismes et régionalistes me les gonflent singulièrement, je comprends le bien fondé de rester dans une échelle locale, c’est très bien, ce serait parfait si ce n’était pas sous le drapeau des imbéciles heureux qui sont nés quelque part. Et que l’on ne se méprenne pas, oui il s’agit bien là d’une arme pour s’ostraciser, en cela je rejoins l’avis de l’abeille, ce n’est pas ça qui va faire avancer le schmilblick. Changer de langue ne va pas aider à dire des choses plus intelligentes malheureusement.

  3. @Flo, heureux que vous soyez sûre de vous 😉

    @L’abeille. Je n’ai pas lu le livre d’Yvonne Bollmann, mais elle publie aussi sur le site internet de Riposte laïque (c’est très tendance d’être islamophobe ces temps-ci). Si effectivement vous soutenez ce genre de mouvance politique, peut-être devriez vous vous aussi leur proposer des articles?

    Pour ma part, j’ai dû de me tromper d’adresse.

    • Chère poutre,

      Mon jeune âge et mes demi-convictions de pisseuse ne vous auront pas échappé, doublés d’une légère teinte de susceptibilité, si chère à mon île natale.

      C’est vous qui l’avez énoncé le premier:
      « Ne vous laissez pas leurrer par les gens qui se servent des langues comme symboles. », j’ai simplement voulu ajouter que ça fonctionnait dans les deux sens, les défenseurs comme les censeurs.

      Heureuse pour vous que vous soyez du côté des gentils. Mais ne venez pas vous plaindre si aux prochaines vacances vous ne comprenez pas la carte du menu. Je m’abstiendrais sur les smileys, c’est vraiment ridicule pour le coup.

    • @La Poutre : Je pense que le manque cruelle de connaissance de ce qui relève de la fafologie (étude des extrême-droite) doit résulter de ce jugement hâtif. A la création de Rispote laïque, ces derniers en partie issus de la gauche se voulaient être de vrais militants laïques qui se battaient contre tous les cléricalismes et ce jusqu’à 2009-2010 où la dérive Doriotiste et le rapprochement avec le bloc idenditaire ont gangrené la ligne éditoriale. Jusqu’à l’apéro saucisson-pinard, le site n’était pas -je ne le défends pas pour autant- une succursale de l’extrême-droite. Nombres d’auteurs y ont signé. Nombres d’auteurs l’ont quitté à cette période. Les en tenir garant de la dérive future est au pire une erreur involontaire au pire un procédé malhonnête.
      En revanche, je vous invite à lire cet excellent papier d’Eric Conan, journaliste à Marianne sur les langues régionales, peut être plus fin que le mien et surtout très bien documenté sur l’histoire de la revendication régionaliste. http://t.co/bCmV2THd3A
      Cordialement,

      PS : Je vous invite à lire l’ensemble de mes billets sur la République et la laïcité et d’y trouver le moindre propos islamophobe.

      • @Flo Effectivement, je suis vieux. J’essayais juste de vous sourire. Les smileys sont un registre de langue que je ne maîtrise pas bien, mais je ne désespère pas.

        @L’abeille : merci pour le lien, je vais y jeter un œil ! Je ne suis pas expert en fafologie, mais j’ai quelques notions de sociolinguistique. J’ai lu nombre de vos billets et ils m’ont toujours plu. Mon problème c’est que dès que l’idéologie prend les langues en otage, j’ai tendance à m’emporter, car si elles sont effectivement un véhicule de l’idéologie (fafe, islamiste, laïque, etc., c’est toujours de l’idéologie), elles n’en sont pas pour autant la substance. J’ajouterai que les langues « régionales », « minorisées », « autochtones », « créoles », « endogènes », « issues de l’immigration », etc., sont toutes des langues minoritaires, même si les juristes et les sociolinguistes aiment leur accorder des statuts différents en fonction du contexte et de la tête du client. Dans le contexte européen, par exemple, le français est minoritaire face à l’anglais. Dans le contexte français, en revanche, l’anglais, au même titre que l’arabe ou le berrichon, est minoritaire face au français. On peut débattre des heures durant de souveraineté nationale, de laïcité et de néo-libéralisme anglo-saxon, cela ne changera rien au fait que lorsque deux langues (ou plus) sont en contact, un rapport de force se met en place et la langue minoritaire est, de fait, menacée…

      • @La Poutre : Effectivement, un rapport de force peut se créer mais la reconnaissance des langues minoritaires est inscrit dans la constitution, elles sont acceptées, enseignées, valorisées, on est loin de la « Terreur linguistique » et c’est très bien. Alors pourquoi diable, vouloir aller plus loin en voulant donner des droits collectifs à des locuteurs déterminés et choisis par les tenants de cette charte (ex: les langues d’Oïl et l’arpitan sont exclues, on ne sait pourquoi) ? Pourquoi si ce n’est la volonté absolue d’en finir avec l’état-nation pour une Europe des ethnies ? Le débat est là et non dans le pour ou contre les langues régionales car je le répète, les langues régionales ne sont pas menacées et la ratification de la charte ne sauvera pas les quelques qui le sont.

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