Pour le début de la saison 2 des citations du dimanche, j’ai pistonné un copain qui rêvait un jour de se retrouver ici. C’est un peu plus qu’une citation. C’est un texte très beau et très simple sur le temps paru dans le journal l’Humanité, du 02 novembre dernier.
Nicolas Lebourg (vivant) est un historien, spécialiste des extrêmes droites.
« Demain, ce quotidien ne paraît pas. En un instant où le repos dominical serait un scandale, il nous faudrait donc encore « endurer » la Toussaint ? Durant ce long week end, il nous faudrait honorer nos morts plutôt que de nous hâter consommer dans un magasin de bricolage ? Un tel archaïsme doit effarer d’aucuns. « Ne pas avoir le temps » est devenu un signe de distinction sociale. Or, cet effacement du simple fait que le présent soit un pont entre le passé et le futur nourrit la crise culturelle que nous vivons. Le temps se replie par l’évacuation individuelle du sentiment d’être construit par l’Histoire passée comme par l’absence de tout horizon d’attente partagé. L’Histoire que nous nous racontons n’est plus que celle de groupes isolés les uns des autres, et le statut de « victime » tient du Veau d’or contemporain. Cette dislocation nourrit l’imaginaire droitier du « déclin ». L’espace se délite dans la mondialisation, les délocalisations, les externalisations. Nations, partis, États, syndicats, églises : depuis des décennies, chacun de ces éléments est dit en crise, car en fait toutes ces formes structurantes sont en voie d’élimination. Ce qui a émergé est une société désintitutionnalisée : les liens entre État et société ne passent plus tant par des collectifs politiques (syndicats, partis, etc.) que par le développement de marges constituées par des réseaux de sociabilité. Faire de l’Histoire n’est pas une occupation culturelle. C’est une activité politique, car une société dont le rapport au temps a pour modèle le streaming aboutit à la « guerre de tous contre tous ». Réhabiliter l’Histoire est exiger que l’univers humain ne soit pas un marché où nous viendrions consommer ce qui nous sied. C’est admettre qu’il existe des faits qui dépassent la jouissance narcissique immédiate. Reconstruire un temps commun est probablement la nécessité première en vue de la renaissance d’un espace public. Il ne saurait y avoir de République sans calendrier commun. »