C’est avec un grand plaisir que l’Abeille et l’Architecte publie un camarade de route, Simon Jolles, qui a décidé de se faire en beauté le député Gérald Darmanin, mais si vous savez, l’über-troll qui veut interdire les tweets dans l’hémicycle et qui explique que «Bertinotti n’a pas sa place au gouvernement».
Monsieur le Député Gérald Darmanin,
Je ne vous connais pas, je ne sais pas d’où vous sortez, mais regardant le happening situationniste qu’est devenu l’examen du projet de loi sur le mariage pour tous, vous m’avez crevé les yeux, comme une révélation. Peut-être est-ce la jeunesse, vous avez trente ans, l’aplomb, la candeur … ? Quand j’évoque votre âge, vous avez trente ans, je n’entends pas par là défendre une l’idée sénile que les jeunes seraient forcément plus progressistes, plus ouverts sur le monde. François Fillon fut élu député à 27 ans en 1981 et il vota contre la dépénalisation de l’homosexualité quand elle fut présentée devant l’Assemblée Nationale. Ce qui m’a frappé néanmoins est la parfaite roublardise avec laquelle vous semblez déjà maîtriser les codes de la communication actuelle, votre connaissance déjà si grande d’une institution, l’Assemblée Nationale dans laquelle on pourrait croire que vous êtes né.
Sur ce qu’il est convenu d’appeler les « questions de société », je comprends qu’on puisse vouloir résister à une certaine air du temps, vouloir évaluer les conséquences, demander du débat, vouloir s’informer des conséquences, ne serait-ce que pour éviter de voter nuitamment un amendement reconnaissant les aspects positifs de la colonisation dans les manuels scolaires. Je le dis d’autant plus volontiers que je suis exaspéré de voir la facilité déconcertante avec laquelle certains militants de gauche pensent pouvoir résoudre certains problèmes, de la dépénalisation du cannabis à la réouverture des maisons closes, en passant par des dérives essentialistes qui sont hors de notre sujet.
Mais, avouons-le, cette fascination s’explique assez facilement. D’abord, vous êtes le successeur à l’Assemblée Nationale du tristement célèbre Christian Vanneste. A vrai dire, s’il ne nous manque pas, il faut avouer qu’en héritant d’un successeur plus jeune, plus fin, et tout aussi droitier, nous n’avons pas été gâté. Ensuite, il faut le dire, au delà de votre cas personnel, vous êtes un beau symbole de cette UMP version Sarkozy/Fillon/Copé produite depuis 2005, ayant émergé avec la complaisance d’une droite soit-disant plus modérée et plus ouverte, qui cautionnait les propos de Christine Boutin sur le PACS. Vous répétez à l’envie, et non sans un certain talent, des éléments de langages sur la gauche des riches, la gauche qui n’aimerait pas la famille, la France, demain peut-être la gentillesse … Blague à part, vous êtes le parfait exemple d’une droite qui n’a peur de rien, sûre de son fait, qui mène un combat idéologique avec force face à une gauche qui semble désarçonnée et désarmée idéologiquement, comme si, lassée, elle avait abandonné en rase campagne le débat du mariage pour tous avec un seul souhait : que cela se finisse vite. Le talent et l’intelligence rare de Christiane Taubira ne peuvent en effet masquer qu’au delà de la défaite politique à venir sur un vote acquis, l’UMP se prépare de beaux jours avec une jeune garde de députés trentenaires/quadragénaires, tous élus cette année, idéologiquement en phase avec Nicolas Sarkozy et sa campagne de 2012, et qui risquent fort d’avoir de beaux jours devant eux. Vos propos parfaitement calibrés ont une dimension idéologique indéniable, et semblent destinés à vous assurer une reconnaissance médiatique rapide, qui assurera, à mon avis une « belle » promotion de vos idées, sans que pour l’instant, la gauche soit capable de déconstruire votre discours, et de lui opposer une réplique efficace. Car pour promouvoir vos idée, il semble que, pour reprendre les théories de Bernays, vous soyez prêts à dire tout, y compris la vérité.
J’ai appris en vous écrivant que vous étiez proche de Xavier Bertrand. Vous avez aussi été le porte-parole de François Fillon pendant la campagne pour la présidence de l’UMP. C’est une occasion de rappeler à mes amis de gauche que le débat de personne à l’UMP n’avait pas ni pour finalité principale, ni comme conséquence accessoire un choix idéologique. Car je ne fais pas la différence entre la sortie de Jean-François Copé sur les pains au chocolat, et les propos de François Fillon affirmant, je cite : « Un vrai patriote, il y a 50 ans il était souverainiste, aujourd’hui il doit militer pour la défense de la civilisation européenne ». Monsieur Fillon était même plus clair sur ses références à la nouvelle droite dans cette déclaration, qu’un proche de Jean-François Copé de ma connaissance a simplement jugé « trop intello » …
La question n’est donc pas de savoir si vous êtes un troll, Monsieur Darmanin, mais de savoir pourquoi une certaine gauche peut considérer que vous en êtes un. Considérer que vous visez juste la polémique ne nécessiterait pas de réponse autre que le silence. Considérer que la polémique est un instrument politique à visée idéologique nécessite par contre une réponse appropriée. C’est plutôt cette dernière position à laquelle j’incline, renforcé en cela par les travaux récents de Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard d’une part et Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin d’autre part. Les premiers rappellent dans leur excellent ouvrage sur les numéro deux du FN que la provocation a permis l’émergence électorale du FN sur des idées et des slogans simples, le récit fait par eux de la municipale de Dreux de 83 étant particulièrement édifiant. Les seconds nous montrent dans « Voyage au bout de la droite » les liens entre l’idéologie de l’UMP actuelle et la « nouvelle droite » ayant émergé dans les années 70. Et il me semble que la déclaration de François Fillon précédemment évoquée qui semble une parfaite illustration de leur propos, aurait pu être issue d’un discours produit par le GRECE (Groupement d’Etude et de Recherche sur la Civilisation Européenne) par lequel passèrent tant d’idéologues d’extrême droite.
Vous dénoncez souvent la « pensée unique » supposée et les tabous qu’imposerait la gauche. Face à vos discours, il me semble que la morale sera aussi inefficace que la dénonciation du racisme le fut pour endiguer la résistible ascension électorale du Front National. Face à des personnes comme vous, qui je dois l’avouer me semblez d’autant plus dangereux que vous dissimulez bien votre jeu, nous devrions pourvoir opposer un discours clair et cohérent, fort sur les principes mais aussi capable de marquer les esprits. François Hollande l’avait bien compris pendant la campagne présidentielle. Le souffle étant un peu retombé, je ne peux que souhaiter que ce débat sur le mariage pour tous serve d’utile rappel.
Une réflexion sur “Gérald Darmanin, un député propulsé par overtroll ?”